Il n’abandonne pas Franck Zal. Cet ancien chercheur au CNRS a découvert que le ver marin, l’arénicole, produit une molécule d’hémoglobine universelle qui permet d’oxygéner les greffons avant transplantation. 10 ans de recherche et 2 ans d’attente pour sa certification, une lenteur administrative qui joue avec la vie des patients.

“Quand je vois un jeune homme de 27 ans avec un coeur artificiel qu’on va débrancher faute de greffe qui fonctionne, je ne peux pas me résoudre à abandonner”, explique avec tristesse Franck Zal, ancien chercheur au CNRS et fondateur d’Hemarina. Parce que c’est ce qui anime cet entrepreneur depuis plus de 10 ans, sauver des vies. Les moqueries du monde médical, au début, quand il a exposé ses recherches, les changements de réglementation qui font que 2 ans après des tests cliniques concluants sur 60 patients, HEMO2life n’a toujours pas la certification européenne pour être mise sur le marché. “C’est incompréhensible ce qui arrive. L’organisme de certification a notre dossier en main depuis 2 ans mais n’a toujours pas eu le temps de le certifier, et pendant ce temps, en France, une greffe sur 2 est un échec parce que le greffon n’est pas viable. Pour un coeur, vous avez 4 heures pour le transplanter, un poumon c’est 6 heures, avec la solution HEMO2life, je peux garder un poumon pendant 48 heures. Avant l’été 2018, 60 patients répartis entre 6 centres français de transplantation, ont bénéficié de greffons rénaux conservés dans une solution additionnée de Hemo2life. Les patients dont le greffon était transporté avec notre solution, ont récupéré trois fois plus rapidement et il n’y a eu aucun décès”, explique le docteur en biologie marine.

Oxygéner les organes avant la transplantation

L’entreprise, Hemarina, créée en 2007 par l’ancien chercheur en recherche fondamentale au CNRS de Roscoff produit une molécule d’hémoglobine purifiée issue du ver marin nommé arénicole qui améliore la conservation des greffons. 60 brevets protègent cette innovation. Il aura fallu plusieurs années de travail sur ce ver pour créer HEMO2life, son substitut sanguin de stockage de l’oxygène qui permet de beaucoup mieux conserver les greffons. Ce produit innovant est issu des travaux réalisés par Franck Zal dans le cadre de sa thèse sur la respiration des vers marins sous le sable entre deux marées. “J’ai constaté que le ver marin arrête de respirer à marée basse, comment fait-il sachant qu’il vit depuis 450 millions d’années ? Qui dit respiration dit s’intéresser au sang. Les molécules de l’arénicole sont extra cellulaires, on utilise ces molécules d’hémoglobine universelles purifiées que l’on injecte à la solution dans laquelle est plongé le greffon avant d’être transplanté. L’organe est parfaitement oxygéné, ce n’est plus la course contre la montre pour la transplantation. Avec cette découverte, nous pouvons aussi agir sur la cicatrisation, la transfusion”, explique le fondateur d’Hemarina.

Cette “révolution” dixit le Professeur Carpentier, grand cardiologue français, a déjà été utilisée lors de la greffe du visage réalisée par le Professeur Lantieri, en novembre 2018. “Si un médecin en fait la demande, il peut utiliser notre innovation mais cela nécessite de remplir des tonnes de paperasse ! Plusieurs praticiens sont en attente pour utiliser le produit”, constate Franck Zal.

” Je réfléchis à m’installer à l’étranger “

“Nous sommes pris en otage”, déclare-t-il. Selon lui, l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament ) ne comprend pas que ce dossier de 35 000 pages ne soit toujours pas étudié par l’organisme britannique de certification. “Tout le monde est au courant, le Premier Ministre, la Ministre de la Santé, et personne ne peut ou veut agir. Il n’y a que 2 organismes de certification européenne, et pas un seul n’est français !”, tempête l’ex-chercheur au CNRS.

Son entreprise n’attend plus que le “go” pour produire cette solution. Hemarina compte 40 salariés, un laboratoire à Morlaix, un élevage de vers marins à Noirmoutier et un atelier à Tours. “Cette attente a un réel impact économique sur l’entreprise, heureusement que nos actionnaires le comprennent. Mais être chef d’entreprise c’est aussi savoir s’adapter. Je ne vais pas pouvoir attendre indéfiniment et prendre le risque que cette innovation soit concurrencée au niveau mondial. Je réfléchis à installer mon entreprise ailleurs. En Inde, vous avez juste besoin d’une déclaration de conformité et vous touchez le marché indien qui est beaucoup plus important que le marché européen. Mais ce serait tellement dommage !” affirme le patron d’Hemarina.

Le matin de notre entretien, Franck Zal apprenait que ses travaux étaient publiés dans le “American journal of transplantation”, toute la communauté scientifique internationale aura connaissance de son innovation. Une nouvelle preuve de reconnaissance du monde médical, qui, comme Franck Zal, attend de pouvoir sauver des patients à l’aide de ses vers marins.