75% des consommateurs se disent incités par le critère d’achat “produit régional” après le Covid-19. La hausse des ventes en “circuit court” pendant le confinement perdure. La crise sanitaire booste l’économie locale.

Anne-Laure Jehannin est gérante de l’épicerie « Le coin du goût » à Pleumeleuc en Ille-et-Vilaine. Sa boutique a ouvert en février 2019 avec pour philosophie, le circuit-court et la saisonnalité. « Nous avons eu l’idée de ce commerce pour faire découvrir au plus grand nombre des produits de qualité qui se trouvent à proximité de chez eux. Pendant le confinement, nous avons gagné 2 types de clientèle. Celle qui a apprécié le drive et les livraisons que nous avons mis en place et qui du coup ont découvert nos produits. Et celle qui était là pour soutenir l’économie locale”, explique Anne-Laure. Sur 70 artisans et producteurs présents sur les étals de son épicerie, 45 sont des producteurs locaux. “Toutes nos viandes viennent du département, le poisson de la criée de Lorient, nos clients viennent aujourd’hui pour faire leurs achats de la semaine chez nous, là où ils avaient tendance avant le confinement à venir pour offrir un cadeau », explique la chef d’entreprise. Son panier moyen est passé de 25 euros à 30-35 euros aujourd’hui. Une clientèle en hausse qui, selon l’équipe, fait plus attention à ce qu’elle met dans son assiette et qui constate que certaines denrées ne sont pas forcément plus chères qu’en grandes surfaces.

Steven Pennec a lancé la plateforme “Mangeons-Local.bzh” en 2015. L’objectif est simple, recenser les producteurs locaux et leurs produits pour les consommateurs intéressés par le “manger local”. Les visites du site ont explosé le 1er mois du confinement avec entre 110 et 130 000 visiteurs en mars. Même si cet afflux massif de visiteurs n’a pas perduré, ses effets sont visibles sur le long terme. “Quand j’ai mes producteurs au téléphone, tous constatent une multiplication par 2 de leurs ventes”, affirme Steven. Cette hausse des demandes a obligé maraîchers et éleveurs à s’organiser différemment. “Vous ne pouvez pas augmenter la production ! Le maraîcher, s’il a 2 hectares de culture, il ne peut pas créer des plants de tomates comme ça juste parce qu’on lui en demande ! Pour répondre aux clients, certains faisaient de la vente en circuit-court et en circuit classique, ils sont passés à 100% en circuit-court”, explique le fondateur de “Mangeons-Local.bzh”.

Post Covid 19, la majorité des français souhaite manger plus sain

Selon une récente enquête Ifop pour Darwin Nutrition, les Français semblent avoir modifié leurs habitudes alimentaires avec le confinement. 56% des Français envisage de poursuivre cette tendance et de manger plus sain et équilibré après le confinement. Selon une étude du CREDOC parue en juin “Consommer plus sobre: une tendance que la crise de la Covid-19 pourrait amplifier”, l’achat local est davantage valorisé par les Français pour des raisons d’ordre écologique (réduire le temps de transport des produits consommés), socio-économique (favoriser l’économie et protéger les emplois de sa région ou de son pays), ou culturel (préférence pour les produits français ou régionaux). Certes, les achats alimentaires liés aux circuits courts ont progressé pendant le confinement en raison des contraintes limitant les échanges commerciaux avec les pays tiers; mais ces ventes continuent de progresser depuis, constate l’étude. Face à cet regain d’intérêt pour les produits locaux et dans un souci de soutien de cette économie, le 6 avril, la Région Bretagne a lancé une plateforme solidaire qui recense les producteurs locaux, les commerces de proximité. Ces derniers s’inscrivent sur la plate-forme www.produits-locaux.bzh, qui les met en relation avec les consommateurs. Agriculteurs, artisans de bouche, professionnels de la mer, boulangers, fromagers, en juin, ils sont plus de 1 500 inscrits pour 52 000 consommateurs.

Circuits-courts, les producteurs peuvent-ils répondre à une telle demande ?

Sten Marc est fromager-affineur à Guipavas dans le Finistère. Sur les 10 marchés sur lesquels il vend ses fromages, 6 ont fermé pendant le confinement. « La vente sur les 4 marchés restés ouverts fonctionnait très bien, heureusement. Nous avions des stocks importants de produits et il fallait soutenir nos producteurs, parce que les vaches, confinement ou pas, elles ont continué à produire du lait !», rappelle le chef d’entreprise qui emploie 10 salariés. Sa fromagerie a fait partie des premiers produits proposés sur la plateforme mise en place par la région Bretagne. “Honnêtement, je ne peux pas mesurer les clients que cela m’a apporté mais j’ai gagné en visibilité. Mon site internet était visité 80 à 100 fois par jour”. Ce « fromatologue », comme il aime s’appeler, a pour ambition de faire découvrir et de développer la production de fromages en Bretagne. « Il y a une nouvelle clientèle depuis le confinement, plus soucieuse de la qualité des produits, de leur provenance. Sur 80 références de fromages, j’en ai 25-30, au lait cru, qui sont fabriqués en Bretagne. C’est trop peu ! Il faut plus de fromages bretons, la demande est là », en est convaincu Sten Marc. Pour Steven Pennec, la hausse de la demande va surement pousser certains à développer les circuits-courts. “Beaucoup d’éleveurs en Bretagne vendent en circuit classique, et un peu en circuit-court. S’ils constatent qu’il y a une nouvelle clientèle, qu’ils peuvent vendre leur viande à un bon prix, ils basculeront plus facilement en 100% vente directe.” 80 producteurs supplémentaires se sont inscrits sur “Mangeons-Local.bzh” depuis le début du confinement. Les fruits et légumes font partie des premiers produits sollicités en circuit-court. Pour que la production locale augmente, il faudra que des “Neo-ruraux” s’installent. Et imaginer un nouveau modèle pour cette économie de proximité. “Cette crise a montré qu’on était capables de se nourrir en local, et pas forcément pour plus cher. Il faut développer cette économie en imaginant des services de livraison des produits locaux, par exemple. Nous n’en sommes qu’au début !”, se réjouit Steven Pennec.