Erwann Créac’h, fondateur de la marque “A l’Aise Breizh” part en fronde contre le Black Friday. Le patron breton adhère au mouvement lancé par la marque Faguo “Make Friday green again”, qui appelle à une consommation raisonnée. Interview d’Erwann Créac’h, propriétaire de 20 magasins de textile et qui emploie plus de 100 personnes.

” Arrêtons de surproduire et surconsommer “

-Ebzh : “Pourquoi rejoindre le collectif “Make Friday green again” ?

-Erwann Créac’h : “Le Black Friday, dans le textile, est apparu en France vers 2013. Les équipes d'”A l’Aise Breizh” et moi-même n’avons jamais adhéré, jamais fait de réductions cette journée là. Et puis on s’est dit qu’il fallait transformer cette journée en quelque chose de positif. L’année dernière, nous avons fait don de 20% de notre chiffre d’affaire réalisé le jour du Black Friday à une association de lutte contre la mucovisciodose. Cette année, nous réitérons la même opération en soutenant en plus le mouvement “Make Friday green again“. 600 marques françaises se fédèrent pour quelque chose, sans que ce soit lié à une institution ou un parti politique, alors que nous sommes souvent seuls. C’est la première fois et en plus ce sont des valeurs auxquelles nous adhérons.

-Ebzh : Quelles sont les valeurs que vous partagez avec les quelques 600 marques anti-Black Friday ?

-Erwann Créac’h : “C’est juste incroyable que cette journée existe encore quand chacun peut constater les dégâts environnementaux et sociaux que produit, notamment, l’industrie textile. Le consommateur a bien sûr besoin de réductions mais il a une responsabilité. En tant que marque, producteur, nous devons arrêter cette surproduction qui amène à cette surconsommation. Ce mouvement est parti des Etats-Unis, est arrivé en France lancé par de grosses structures telles qu’Amazon. J’ai l’impression que les français font quelque chose qui ne leur correspond pas culturellement. Dans le secteur du textile, ce Black Friday, ce sont des soldes qui ne disent pas leur nom. La production de vêtements est lancée, exprès, pour répondre aux attentes des consommateurs cette journée, comme pour les ventes privées et autres promotions.

” Quand vous avez 70% de réduction, où est le prix juste ? “

-Ebzh : “Il y a t-il un prix juste quand il y a des réductions de 70% sur un produit ?”

-Erwann Créac’h : “Dans le textile, il y a un prix juste mais on ment au consommateur quand on fait des réductions aussi importantes. Si vous avez une réduction de 70%, soit il y a eu un gros volume de production, l’intermédiaire ne peut pas de faire de marge, soit vous surévaluez pendant l’année le prix de vente et avec -70%, vous faites une marge mais ce n’est pas le prix juste ! Le scénario le plus fréquent est qu’avec de telles réductions, le commerçant, l’intermédiaire, le fabricant, personne ne va gagner d’argent et le consommateur va surconsommer. Il y a 5 ans, nous avons même arrêté d’augmenter notre production de 20% pour répondre à nos besoins pendant les soldes. Nous produisons ce que nous vendons. On a soit perdu du chiffre d’affaires mais en résultat, nous n’avons plus de frais de logistique, de transport, de personnel supplémentaire à prévoir et surtout du stress en moins. On pollue moins et on ne surproduit plus. Quand vous voyez de grandes enseignes de textile, et tout l’achalandage qu’elles ont pendant les soldes, il y a eu une production pour répondre à cette période, ce ne sont plus les invendus qui sont soldés ! “

-Ebzh : “Vous dénoncez ce business, existe-t-il un modèle économique vertueux ?”

-Erwann Créac’h : “Je ne crois pas mais il y a quelques pistes. Chez “A l’Aise Breizh”, nous avons racheté une usine de tissage à Morlaix pour le linge de maison. Dans le textile, il y a des centaines de métiers différents, tisser c’est pas broder. Un torchon est vendu 9 euros dans nos magasins, un prix qui paraît élevé pour certains consommateurs mais ce tissu sera touché une quarantaine de fois avant d’être en rayon. Il faut expliquer les choses au consommateur. Nos tee-shirts sont fabriqués au Portugal pour être concurrentiels sur le prix. Si nous les produisions en France, il faudrait les vendre entre 35 euros et 55 euros TTC, trop cher pour bon nombre de ménages.

” Il faut expliquer notre démarche aux consommateurs “

-Ebzh : “Quel message voulez-vous adresser ? “

-Erwann Créac’h : “Cette démarche est en phase avec nos valeurs. Dans nos magasins, notre positionnement interpelle, les clients sont venus discuter. Dans l’ensemble, nous avons des bons retours. Aujourd’hui, c’est déjà plus le Black Friday mais un week-end de réductions, l’année prochaine, ce sera un mois ! J’ai envie de dire aux consommateurs, si vous le pouvez, modérez vos achats. Regardez l’impact de la surproduction et de la surconsommation sur l’environnement. “