En 2022, 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits bio devront être servis dans les restaurants d’établissements publics, écoles, hôpitaux, prisons. Certaines communes, comme Brest, n’ont pas attendu la loi pour mettre du bio dans leurs cantines. Un choix politique qui n’a pas été simple à mettre en place.

Au plus tard le 1er janvier 2022, la restauration collective dans les crèches, écoles, mais également les établissements de santé, sociaux, pénitentiaire devront proposer 20% de produits bio dans leur menu. Aujourd’hui, ces produits sont représentés à hauteur de 10% dans la restauration publique. “Il faut bien comprendre que la restauration collective c’est un contrat entre le prestataire et le client. Il faut que la commune demande dans son cahier des charges que le restaurateur introduise des produits bio et qu’elle va en assumer le coût. Si aucun besoin qualitatif n’est exprimé, il n’y aura pas de bio”, explique Jean-Michel Noël, coordinateur bio national chez Sodexo. Certaines ont déjà fait ce chemin, sans en être contraints par la loi. A Brest, le bio est introduit dans les cantines depuis presque 13 ans : “plus de 60% de nos produits sont bio, avec pour objectif d’atteindre les 80% en 2022”, précise Emilie Kuchel, adjointe au maire chargée des affaires sociales. La commune de Langouët, bien connue pour son arrêté anti-pesticides, est à 100% et à Mordelles, en Ille-et-Vilaine, l’élu a fait du “produit local” un argument de campagne lors des dernières municipales : “Sur les quelques 400 repas faits par jour dans les crèches et écoles de la ville, 80% des produits sont locaux et plus de 20% bio. Mon souci de santé publique passe par la valorisation de nos producteurs locaux, et les questions environnementales. Nous connaissons nos fournisseurs, nous les encourageons vers une reconversion en AB (agriculture biologique) mais je préfère un produit en agriculture raisonnée qu’un produit labellisé bio qui a fait des centaines de kilomètres pour se trouver dans l’assiette de nos enfants” explique Thierry Le Bihan, maire de cette commune de 7 000 habitants d’Ille-et-Vilaine.

Le coût, un des principaux freins aux produits bio

Les restaurations collectives de qualité déjà mises en place, ont été un choix politique des élus. “Avec les élections municipales qui ont lieu en 2020, prôner le bien-manger dans les cantines peut être un argument de poids pour les candidats. Atteindre 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits bio dans les crèches et les écoles en 2022 est totalement réalisable” constate Jean-Michel Noël de Sodexo.

La ville de Brest gère plus de 6 000 repas par jour en faisant une délégation de servie public à une filiale de Sodexo. “Nous avons considéré que c’était notre rôle d’accompagner le changement. Quand on s’est lancés, on a signé des contrats avec des producteurs. On leur garantit une quantité d’achats et on paie les produits au prix du bio, même s’ils ne le sont pas. C’est une aide financière le temps de la conversion au bio qui dure trois ans. Nous voulions du bio sans le faire peser sur les familles”, explique l’élue brestoise. Le maire de Mordelles confirme le coût supplémentaire que cela représente pour la commune : “la première année notre budget achat a augmenté de 11%, ce surcoût, la commune l’a supporté sans le reporter sur le prix du ticket de cantine. Nous avons travaillé en parallèle sur le gaspillage en instaurant des portions différentes “petite, moyenne, grande faim”. Aujourd’hui, il n’y a presque plus de retour d’assiette et on commande vraiment ce dont on a besoin. Le coût supplémentaire est compensé par l’anti-gaspillage.” Sodexo, l’un des plus gros fournisseurs mondiaux de services de restauration collective, est en contact quotidien avec les collectivités. Le prix est un frein pour bon nombre d’entre elles. “Ce sont les communes qui supportent le coût des repas en crèche, maternelle et primaire. Mettre du bio en remplaçant poste pour poste les produits, cela coûte évidemment plus cher mais si vous remplacez une assiette avec de la viande et des légumes, par des légumes verts et des légumineuses bio, vous êtes à coût constant”.

Apprendre à manger différemment ?

Emilie Kuchel l’avoue, ce qui est le plus compliqué dans le passage au bio, c’est le changement des habitudes : producteurs, personnels de cantine, cuisiniers. “Pour déterminer un menu, tout doit être pris en compte. Quand vous donnez de la compote bio, vous les mettez dans des bols, pour les cantinières, on ne peut pas avoir dans un même repas, de la soupe et de la compote, il y a trop de manutention”, précise l’élue de la ville de Brest.

Chaque département en Bretagne a des structures qui font le lien entre tous les acteurs de la filière. “Manger bio 35” existe depuis 20 ans, et fait l’interface entre les producteurs de produits bio locaux et la restauration collective. “C’est un ensemble de petites choses qui permettent d’acheter des aliments de qualité : moins de choix au self, des quantités moins importantes dans les assiettes, apprendre à cuisiner à basse température, ne pas éplucher tous les légumes”, explique Sophie Jeannin, coordinatrice “Manger bio 35”. Les équipes en cuisine de Sodexo sont redimensionnées, avec du personnel en plus là où la tendance quelques années en arrière était de limiter la préparation pour réduire les coûts en personnel. Les producteurs et les restaurateurs constatent qu’il faut ré-apprendre à travailler avec des produits frais, bio, locaux. Fabien Tigeot, est éleveur de veaux bio et président du GAB 56 (groupement des agriculteurs bio du Morbihan). Cela fait 20-30 ans que ces agriculteurs travaillent sur le “mieux manger” en proposant des produits de qualité. “Pour avoir de la viande bio dans les cantines, il faut manger moins mais mieux. La restauration collective doit réapprendre à cuire de la bonne viande, moins remplie d’eau, limiter les portions avec des légumineuses”, affirme l’éleveur. “Nous avons formé nos équipes à cuisiner différemment, à cuisiner des produits telles que des lentilles. Trop cuites c’est vraiment pas bon !”, explique, amusé, Jean-Michel Noël.

Toute une filière à organiser

Quel que soit l’interlocuteur, producteur, collectivité locale, entreprise de restauration rapide, tous sont unanimes : privilégier le local, 80% à Mordelles, 40% à Brest, intégrer 20% de produits bio dans les menus, cela demande de remettre à plat toute une filière : “C’est vrai qu’il va y avoir une question de logistique, comment organiser la livraison de nos produits”, s’interroge Fabien Tigeot, éleveur bio dans le Morbihan. “C’est le gros souci, la logistique. Comment se faire livrer, passer les commandes, travailler avec la saisonnalité des produits, tout le monde a énormément appris !”‘ confirme l’édile de Mordelles. Avec la multiplication des demandes d’ici deux ans, il va falloir aussi que chacun s’adapte. “C’est sûr que si toutes les communes me demandent des carottes au même moment, on va avoir un problème d’approvisionnement” anticipe Sophie Jeannin. Pour atteindre les 20%, il y a plein de possibilités, le lait, le pain, la viande, il faut planifier et bien communiquer entre les producteurs et les collectivités.”

Et les consommateurs ? Les premiers concernés sont les enfants et eux aussi ont dû changer leurs habitudes. “Il y a 2 ans, nous avons enlevé le sucre des yaourts, des compotes, les enfants ne les mangeaient pas car ils étaient habitués aux produits industriels déjà sucrés. Aujourd’hui, tout le monde les mange. Notre rôle, c’est aussi d’éduquer au goût.”, précise Emilie Kuchel. “C’est vrai, qu’en cette saison, il faut aimer les purées”, s’en amuse le maire de Mordelles. Le secteur privé est-il prêt ? La loi ne l’y oblige pas. Aujourd’hui, seuls 2% de produits bio sont servis dans la restauration d’entreprise en France.