C’est une première en France. Une association d’aide aux personnes handicapées fait appel au mécénat des entreprises locales pour financer un projet d’habitat inclusif. “Le Temps du Regard” demande aux acteurs économiques d’être solidaires pour pallier aux financements publics de plus en plus restreints.
C’est un parc immobilier de plus de 7 000 m2, qui prévoit 16 logements pour des personnes en situation de handicap, et des places en accueil de jour, le tout situé dans un ensemble de 50 logements en location ou accession à la propriété, à quelques kilomètres de Rennes. L’association “Le Temps du Regard” travaille sur ce projet d’habitat inclusif depuis 3 ans. “Nous accompagnons 85 personnes avec des handicaps intellectuels, sensoriels, psychiques, physiques ou autistiques. La moyenne d’âge est de 49 ans. Parmi elles, une cinquantaine est hébergée dans leur famille, aujourd’hui souvent très âgée. Nous devons anticiper les modalités de logement. Notre démarche doit pallier des financements publics de plus en plus restreints, par une réponse collective, citoyenne, solidaire“, explique, enthousiaste, Ludivine Goyet, cheffe du projet pour “Le Temps du Regard”. L’État ne peut plus financer à 80% ce type de projet, comme c’était le cas jusqu’à ces dernières années, l’association a dû trouver de nouveaux partenaires. 1/3 du financement est assuré par le département, 1/3 par les aides reçues par les adultes handicapés et 1/3 par le mécénat d’entreprises et de personnes privées. “L”argent récolté est à 80% pour les frais de fonctionnement, pour payer les accompagnants des locataires handicapés. Nous allons créer 10 emplois équivalent temps plein. Il faudrait récolter 200 000 euros, par la contribution de 166 particuliers et 20 entreprises en 2020, 300 000 euros en 2021″, calcule Ludivine. Depuis un an, elle arpente le territoire à la rencontre des entreprises locales. “Nous présentons notre projet en demandant aux entreprises de s’engager, d’être solidaires, d’agir pour leur territoire.” Ce projet, unique en France et à titre expérimental, est encouragé par la Fondation de France et le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. Un bailleur social prend en charge la construction des logements. Nicolas Nobilet est à la tête d’Axians, qui compte près de 70 salariés à Rennes et plus d’une centaine en Bretagne et Loire-Atlantique. Sa société a signé un contrat pluriannuel de 3 ans avec “Le Temps du Regard” pour un montant de 2 500 euros par an. “L’entreprise, ce n’est pas juste gagner de l’argent, c’est un vecteur social au niveau local. Nos salariés participent à des actions à titre personnel, nous, entreprise, nous devons y participer”, affirme le chef d’entreprise. Le désengagement financier de l’Etat oblige, selon lui, les entreprises à s’impliquer davantage dans ce rôle social, solidaire. “L’entreprise fait partie de la société, nos salariés travaillent, habitent sur le territoire. Nous croisons nos clients au supermarché du coin, on ne peut pas être sourd et aveugle à ce qui nous entoure”. Pour Ludivine Goyet, le défi est de faire adhérer les entreprises du secteur à leur projet, plusieurs ont déjà répondu présentes. “Certaines structures financent déjà d’autres actions, il faut toquer à toutes les portes. La moyenne des dons tournent autour de 4 000 euros par an. En 2020, notre objectif est d’obtenir l’adhésion d’une grosse entreprise qui serait moteur pour les autres.” Nicolas Nobilet pointe aussi une autre difficulté. Comment choisir l’association à qui l’on donne ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? En 2017, le baromètre Admical évaluait à 9 % le nombre d’entreprises françaises pratiquant le mécénat, pour un budget global situé entre 3 et 3,6 milliards d’euros. Cette tendance est à la hausse puisque le nombre de mécènes et de dons déclarés (1,7 milliards en 2017) ont presque doublé depuis 2010. Parmi ces entreprises solidaires, on recense 81 % de grandes entreprises, 16 % de PME et moins de 3% de TPE dont le nombre a toutefois triplé en six ans. Les entreprises peuvent déduire de leurs impôts 60 % du montant de leurs dépenses dans la limite de 20 000 € ou de 5 % du chiffre d’affaires annuel hors taxe, pour des dons jusqu’à 2 millions d’euros. Au-delà, le montant de la réduction fiscale est plafonné à 40 %. Conscient que le plafond de 5% du chiffres d’affaires peut être vite atteint par les petites entreprises, la loi de finances 2020 permet d’augmenter cette franchise jusqu’à 20 000 euros. L’objectif est clair : favoriser le développement du mécénat de proximité dans les territoires. L’entreprise Axians n’a pas fait de cette déduction d’impôt un argument de poids dans sa prise de décision. “Etre mécène, c’est être solidaire. Participer financièrement à ces logements, c’est aussi créer du lien avec ses locataires. Nous pouvons être acteurs de l’inclusion sur notre territoire”, affirme le patron d’Axians. Au-delà de son montage financier, ce qui fait l’originalité de ce projet c’est sa volonté d’intégrer les personnes atteintes de handicap dans la société. “Nous voulons recréer du lien social. Il y aura une salle de voisinage pour partager des loisirs, un jardin partagé, écologique, de 1 000 m2, lieu de rencontre et de pique-nique entre voisins “, détaille Ludivine Goyet. Aller à la recherche de nouveaux financements, cela a demandé aussi à l’association de s’ouvrir, d’expliquer ce qu’ils font, d’être eux aussi dans l’inclusion de personnes extérieures, entreprises comme personnes privées. L’association “Le Temps du Regard” a besoin d’une trentaine d’entreprises solidaires. Cette expérimentation est regardée de près par d’autres structures en France qui pourraient se servir de ce modèle. Si les fonds sont réunis, les locataires handicapés intégreront leur logement en 2022.
L’association a inventé un nouveau modèle économique pour financer ces projets, inspiré de ce qui existe déjà au Canada. En France, 60 000 personnes en situation de handicap sont en attente d’un accueil et d’un accompagnement. Elles seraient 600 en Ille-et-Vilaine.Un business plan innovant
Les entreprises appelées à la solidarité
De plus en plus de mécènes