Femmes entrepreneurs, les oubliées de la crise ?
27% des chefs d’entreprise en France sont des femmes. Pour ces entrepreneures, le confinement les a fait cumuler activité et garde d’enfants. Selon une étude menée par Bouge ta Boîte, 72% ont été contraintes de jongler entre enfants, entreprise, tâches ménagères et devoirs.
“Mon bureau est devenu salle de classe aussi”, sourit Maud Beaussier, courtier en financement professionnel. Cette entrepreneure, maman de 2 enfants, a vu son activité réduite à 25% pendant le confinement. Depuis le 11 mai, comme tout chef d’entreprise, il faut relancer les rendez-vous clients, prospecter, ce qui évidemment demande du temps. “Je suis beaucoup plus fatiguée qu’avant la crise, il faut gérer l’organisation du travail, de la maison, des repas, des leçons.” Karine Pho est vice-présidente du réseau Mampreneures France. “Il n’y a pas encore de données qui montrent que les femmes seront plus impactées économiquement que les hommes mais elles le sont sur le temps de travail disponible”, explique-t-elle. Servane Combabessou a 3 enfants, le temps consacré à son entreprise pendant le confinement était réduite à peau de chagrin. “Je pouvais y consacrer 4h par jour, c’est rien !”. Et l’après 11 mai ? “Pour moi, ça change quasiment rien, mon fils ne peut aller à l’école qu’un jour par semaine, c’est cette journée que je vais consacrer aux rendez-vous et après, il va falloir que je fasse institutrice/entrepreneur/cuisinière pour 5 !”, affirme, un peu amère, Servane. Le réseau de business féminin “Bouge ta Boîte” a fait une étude auprès de 500 chefs d’entreprise, les chiffres sont éloquents. 72% des entrepreneures sont confinées avec enfants et contraintes de jongler entre les enfants, leur entreprise, les tâches ménagères, les devoirs. Depuis début mars, 2/3 des dirigeantes parviennent au maximum à travailler 4h par jour et n’ont maintenu au mieux que 20% de leur activité. Et la sortie du confinement n’y change pas grand-chose. Maud, comme Servane, ont leurs enfants à l’école par intermittence. “J’ai l’impression d’être un peu l’oubliée de la crise. Je télétravaille, donc je ne suis pas prioritaire pour scolariser mes enfants. Mais pour relancer mon business, il me faut du temps, je ne peux plus être aussi présente avec ma fille et mon garçon que pendant le confinement”, regrette Maud. “C’est vrai que je ne vais pas être regardante sur le temps passé devant les écrans. Je vais me consacrer plus à mon travail. Ce sera 3h par jour pour Jean, pas plus”, en culpabiliserait presque Servane. Le réseau Mampreneures fait partie des instances consultées sur les questions d’égalité hommes-femmes en France. Cette crise ne risque-t-elle pas d’accentuer ces inégalités ? “Il ne faut pas se voiler la face, il y a un risque réel que des petites structures s’arrêtent. Des femmes à la tête de TPE avec un chiffre d’affaires peu élevé peuvent faire le choix d’abandonner leur activité au profit de leur mari”, s’inquiète Karine Pho. Ou pour les créatrices d’entreprise qui viennent de se lancer dans l’entrepreneuriat, de faire un retour au salariat. Servane est fondatrice de Mogador Digital, une société experte en accompagnement numérique qui existe depuis tout juste un an. “J’ai fait 0 chiffre d’affaires en 2 mois, et je n’ai pas de visibilité sur les mois à venir, sachant que l’été est rarement une période propice. Si j’ai 6 mois sans activité, je dois réfléchir à diversifier mon activité”, explique la jeune chef d’entreprise. L’étude menée par Bouge ta Boîte met en lumière de réels risques de cessation d’activité. 40% des femmes entrepreneures ont perdu plus de 70% de leur chiffre d’affaires sur la période de confinement. “Après un mois de confinement, 54% d’entre elles considèrent que leur entreprise est aujourd’hui en situation de risque fort ou élevé de dépôt de bilan. Nous nous apprêtons à vivre un recul sans précédent de l’entrepreneuriat féminin“, déclare Marie Eloy, fondatrice de “Bouge Ta Boite”( à retrouver ici un article consacré aux femmes entrepreneures). Le réseau a mis en place des tarifs préférentiels avec un prestataire pour la garde d’enfants et demande un Fonds de solidarité pour les dirigeantes d’entreprise les plus en difficulté. Les conséquences économiques réelles de cette crise ne seront connues que dans quelques mois, voire en 2021, quand arriveront les remboursements des prêts garantis par l’Etat que bon nombre de chefs d’entreprise ont souscrit pour passer cette période difficile. En attendant Servane et Maud espèrent un retour rapide des contrats et du chiffre d’affaires, en se demandant quand même comment elles vont pouvoir gérer activité économique et activité scolaire…Un recul de l’entrepreneuriat féminin ?